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jeudi 7 septembre 2006 dans Libération

« J'y vais pour gagner »

Fini le centre mou ! Pour desserrer l'étau de l'UMP et du PS, le leader de l'UDF part à la présidentielle, bannière au vent. Rodomontades ou début de la reconquête ?

C'est dit : François Bayrou a assuré aux quelque 2 000 militants de l'UDF présents le week-end dernier à La Grande-Motte, pour l'université d'été de leur formation, qu'il se présenterait à l'élection présidentielle pour «gagner ». «Vous entendez bien, a ajouté le président de l'UDF sous les vivats. Non pas figurer, même honorablement, non pas seulement faire un bon score, je crois que nous pouvons gagner l'élection présidentielle, construire une majorité nouvelle.» Le seul problème, c'est qu'il s'agit d'une redite. En 2002 déjà, Bayrou avait assuré se présenter pour gagner. Or il n'a décroché qu'une honorable quatrième place (6,8%), loin derrière le trio de tête, Chirac, Le Pen et Jospin.
Cette fois, le président de l'UDF y croit vraiment, justement parce qu'il n'est plus un bleu. Dans le futur tournoi présidentiel, il fera figure de candidat aguerri. «L'épreuve est rude, beaucoup plus rude qu'on ne le dit, souligne-t-il. Quand j'entends Ségolène Royal dire qu'elle n'a jamais été autant attaquée, je souris : ce qu'elle subit aujourd'hui n'est rien au regard de ce qu'elle subira demain.» L'élection présidentielle est une «essoreuse, prévient le président de l'UDF, on ne vous passe rien».
Foi dans le centre oblige, Bayrou est aussi convaincu que la gauche et la droite sont désormais également discréditées. A l'entendre, il n'y aurait eu depuis 1981 que de fausses alternances entre François Mitterrand, ses amis et ses héritiers d'une part, Jacques Chirac, ses amis et ses héritiers de l'autre. Les Français en auraient plus qu'assez du «monopole à deux» de l'UMP et du PS. Le centre reste une idée neuve, veut croire Bayrou. Son espace s'est dégagé : le candidat de l'UMP, Nicolas Sarkozy, est positionné plus à droite que Jacques Chirac en 2002. Quant au champion du PS, quel(le) qu'il ou elle soit, il est plombé par le projet socialiste, qui est un «défi au bon sens».
Sur le positionnement de Sarkozy, difficile de contester son analyse. Pour la première fois depuis 1958, le candidat issu de la tradition gaulliste se revendique ouvertement de droite. Ni de Gaulle ni même Chirac n'ont jamais accepté l'étiquette. Le président de l'UMP va plus loin : non seulement il se proclame de droite, mais il s'attache à le prouver jour après jour, comme l'ont par exemple montré ses récentes déclarations sur la réglementation du droit de grève.
Bayrou observe le parcours de Sarkozy avec délectation. Longtemps les deux hommes se sont ménagés, unis par un égal mépris pour Jacques Chirac. Aujourd'hui, Bayrou commence à lâcher ses coups. Fier de ses origines populaires - il est le fils d'un modeste paysan béarnais -, il se dit choqué par les relations de connivence entre le président de l'UMP et les chefs d'entreprise : «C'est la première fois en France qu'un candidat à l'Elysée revendique sa proximité avec l'argent.» Et de dénoncer dans la foulée l'intimité de «l'argent» et des médias, donc de Sarkozy et des médias. Pour Bayrou, le président de l'UMP a tout faux : il a tort d'être le candidat du « grand patronat », comme on disait naguère au Parti communiste, mais tort aussi d'être trop proaméricain, trop proisraélien, trop communautariste. Bref trop... en rupture avec le modèle républicain français.
Bayrou est d'autant plus convaincu que Sarkozy va se planter qu'il l'a déjà affronté aux élections européennes de 1999, et qu'il n'avait pas peu contribué à son mauvais score en le contrant sur les baisses d'impôt, en direct à la télévision. Même pas peur ! Pour rester dans les références de gauche, le président de l'UDF voit Sarkozy comme un «tigre en papier».
Sur le (ou la) candidat(e) socialiste, ses attaques sont moins personnelles. Selon lui, c'est le refus persistant du PS de faire sa mue sociale-démocrate qui risque de coûter à Ségolène, à Lionel ou à Dominique les voix de ce qu'on appelait naguère la « deuxième gauche ». Depuis longtemps, il met en avant sa proximité avec Jacques Delors et Michel Rocard. Il a invité le second à La Grande-Motte afin de montrer que le temps où l'UDF était asservie à la droite est définitivement révolu.
Un temps, il a eu peur que Ségolène Royal ne démente ses analyses par sa capacité à rassembler du centre à l'extrême-gauche. Il doute aujourd'hui de sa solidité. «A La Rochelle, elle a cédé à la crainte» en refusant de débattre avec les jeunes socialistes, observe-t-il. «Elle est montée sur le plongeoir de 10 mètres et elle n'a pas sauté.» Un recul dans lequel il décèle un manque de caractère. Il ne fait aucun pronostic sur l'identité du vainqueur du tournoi des prétendants au PS. «Je jouerai contre toute donne», affirme-t-il mâlement.
Il y a bien sûr de la méthode Coué dans ce discours. Difficile de partir à la bataille en anonçant qu'on va se ramasser. Mais Bayrou s'y lance avec d'autant plus d'énergie qu'il n'aura pas de troisième chance. En cas d'échec, l'UMP plumera la volaille centriste...