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A lire absoluement !

Source : http://hebdo.nouvelobs.com/p2190/articles/a321261.html
Des frémissements dans les sondages...
Bayrou : je me voyais déjà !
Finis les complexes et tant pis si le microcosme continue à le regarder de haut. Le président de l'UDF se définit comme « le candidat central et républicain », manière de dire qu'à ses yeux ni Sarko ni Ségo ne tiendront la distance. Histoire d'une ambition

Toulouse, lundi matin. En costumecravate, gouverné par l'esprit de sérieux, François Bayrou vient de dialoguer pendant près de deux heures avec une poignée de lecteurs de « la Dépêche du Midi », au siège du journal. Empesé et pesant. Mais soudain un autre Bayrou apparaît. C'est l'heure d'un chat, sur le site du quotidien : il tombe la veste, s'installe lui-même au clavier. D'interminables, ses réponses se font instantanées. «C'est sympa comme exercice, c'est du ping-pong», s'exclame-t-il, rigolard.
Question : «Comment trouvez-vous votre marionnette des «Guignols de l'info»?» (dans le rendez-vous de Canal, il est obstinément dépeint comme un débile). Réponse : «Je ne peux pas dire que ça me fasse plaisir.»«Ça l'emmerde surtout pour ses enfants», commente un proche. Question : «Salut François, comptes-tu rallier la droite au second tour?» Réponse :«Je compte être présent au second tour et que les ralliements se fassent autour du projet que je porte.» Question : «Pourquoi le candidat UDF ferait-il un meilleur score en 2007 qu'en 2002?» Réponse: «Parce que vous allez voter pour moi.»
Le Bayrou d'hier n'est pas tout à fait mort, mais cyber-Bayrou piaffe dans les starting-blocks. Ce n'est pas pure affectation : le président de l'UDF a été le premier homme politique français dont la formation ait ouvert un site sur le Net. C'était en novembre 1995, alors qu'il dirigeait Force démocrate. Depuis, il assure consulter lui-même tous les mails qu'on lui adresse, et donc passer deux à trois heures par jour sur la Toile. En cet automne 2007, les internautes lui rendent cet intérêt. Ils sont à l'origine de la « rumeur Bayrou ». Et si l'aura du président de l'UDF était sous-estimée par le microcosme ?
Fin septembre, sur le site agora-vox.com, il est arrivé en tête d'un sondage présidentiel avec près de 28% des voix. Pas vraiment scientifique, mais très symptomatique, selon ses proches : les internautes manifesteraient globalement davantage de curiosité pour Bayrou, sa personne, ses propositions, que pour Nicolas Sarkozy ou Ségolène Royal. Depuis quelques semaines, la planète UDF voulait voir là les prémices d'une percée : le prince des blogs avait vocation à devenir le chouchou des sondages. C'est dire avec quel ravissement elle a enregistré la dernière enquête de l'Ifop pour « Paris Match » : plus quatre points. Avec 12%, le président de l'UDF obtient enfin un score à deux chiffres, alors qu'il était scotché à 7-8% depuis la nuit des temps.
En bon professionnel, François Bayrou faisait mine lundi matin de ne pas attacher d'importance à cette progression. Pure affectation. Quoi qu'il en dise, et même s'il en fait une lecture circonstanciée, il se repaît de sondages tout autant qu'un Nicolas Sarkozy ou une Ségolène Royal. De toute façon, ses amis n'ont pas les mêmes pudeurs : ils se chargent de relayer la bonne nouvelle. Selon eux, cyber-Bayrou va être le quatrième homme de 2007. Sarko, Ségo et Le Pen vont voir surgir sur leurs talons l'outsider qu'ils n'attendaient pas.
Au premier rang de ces croyants, Hervé Morin. A priori, rien de plus normal : c'est le président des députés UDF. Au fil des ans pourtant, Morin, à l'instar de beaucoup de députés UDF, a souvent douté. Aujourd'hui, il est convaincu qu'il se passe quelque chose autour de François Bayrou. «J'ai senti ça à la rentrée. Un vrai retournement. Avant, quand on disait qu'on était avec Bayrou, on nous raillait. Maintenant, on nous manifeste de l'intérêt.» Morin est particulièrement frappé par l'évolution des patrons qu'il croise à Paris ou dans sa circonscription normande. «Il y a un an, ils étaient tous pour Sarkozy. Maintenant, ils en ont peur.» Sa conclusion : «Sarko va chuter brutal. Royal va montrer ses limites. Le second tour opposera François à Le Pen.»
A priori, Dominique Paillé n'a aucune raison de faire partie des croyants. Historiquement UDF, il a pris ses jambes à son cou début 2002 en voyant Bayrou, dont il était proche, encalminé dans une improbable campagne. Aujourd'hui député UMP, cet éternel franc-tireur a rallié Nicolas Sarkozy. Cela ne l'a pas empêché d'appeler Bayrou le jour de la parution du sondage de « Match » pour lui assurer : «Si tu ne commets pas de bêtises, tu feras entre 12% et 15%.»«Depuis 2002, François a gagné en notoriété et en étoffe, explique-t-il, et il capitalise auprès des mécontents.» Elu de Poitou-Charentes, il est aussi critique que Jean-Pierre Raffarin sur Ségolène Royal. D'où ce pronostic : «François ne prendra pas de voix à la droite. Mais si Royal s'écroule, ce que je crois, il peut être haut. Au final, il peut y avoir quatre candidats entre 16% et 23%.»
En sondeur consciencieux, Stéphane Rozès ne met pas d'affect dans ses analyses. Mais pour le directeur des études de l'institut CSA aussi, le résultat du président de l'UDF sera une résultante. «Tant que Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy feront de bons scores, Bayrou n'aura pas d'espace. En revanche, s'ils déçoivent...» Dès lors, Rozès livre une fourchette très large : «Bayrou peut tout aussi bien faire 5% que 17% et être présent au second tour. Pour lui, ce sera tout ou rien.»
Tout ou rien... Devinez de quel côté penche le président de l'UDF ? Difficile de lui dénier une vraie force de caractère. Le premier peut-être, François Mitterrand l'avait décelée : il ne cachait pas l'admirer pour avoir su triompher de la plaie de son enfance, le bégaiement. L'ancien président était plus sceptique vis-à-vis de Nicolas Sarkozy, qu'il considérait comme un assez médiocre bretteur. En 2002, Bayrou n'a fait preuve que de caractère, de sa visite bravache à l'UMP en gestation, à Toulouse déjà, à sa gifle à un jeune vide-gousset (voir page 72).
Il affronte aujourd'hui l'échéance de 2007 avec la sérénité d'un homme qui a déjà connu l'épreuve du feu : «Dans une campagne présidentielle, chacun des candidats se demande tous les jours s'il est à la hauteur. C'est une épreuve intérieure. En 2002, je n'avais pas la réponse. Aujourd'hui, c'est différent.» Avoir effectué une vraie traversée du désert, avoir osé censurer le gouvernement Villepin, lui a donné comme une... force tranquille.
En 2002, il nourrissait un complexe vis-à-vis de Chirac et de Jospin : encore quadra, il se sentait dominé par ces deux grands anciens. Sarkozy et Royal, ses contemporains, ne lui font pas peur. Cet automne, il s'est lancé dans une vaste entreprise de démolition de l'image du président de l'UMP, accusé de promiscuité avec les puissances d'argent et les grands médias. Sarkozy, le petit frère des riches... A tout propos, Bayrou met en avant ses origines modestes : la propriété de son père, un paysan béarnais, faisait moins de dix hectares. Dans son dernier livre, il assure parler « au nom du tiers état» (1). Ces accentsrévolutionnaires peuvent séduire ou amuser : ils expriment la vérité d'un être.
Lundi matin, dans l'avion qui l'emmenait à Toulouse, Bayrou était encore plus sévère avec le PS. Il exhibait la une du « Figaro », un titre sur Ségolène Royal suggérant que les élus soient «soumis à des jurys populaires». A ses yeux, c'est n'importe quoi. «Le PS est malade», expliquait-il, convaincu que les socialistes français sont les plus archaïques d'Europe parce qu'incapables d'assumer leur mue sociale-démocrate. D'où leur engouement pour une Ségolène qui enchaînerait incongruités sur incongruités. Au contraire de la plupart des observateurs, Bayrou ne croit pas à un vote utile du peuple de gauche en faveur du PS en 2007, pour venger l'affront de 2002. Il pointe au contraire le faible niveau des rivaux socialistes de Ségolène dans les sondages. Il ne doute pas qu'in fine la présidente de Poitou-Charentes ne fera guère mieux : la devancer serait à sa portée.
Le président de l'UDF tire son assurance nouvelle d'avoir réorienté son discours. Il se signalait par ses grandes odes au centre. Il se présente aujourd'hui comme «un candidat central etrépublicain.» La nuance est d'importance : elle lui permet de ne plus s'adresser aux seuls centristes mais à tous les camps. «Les gens de gauche savent que je partage une partie de leurs valeurs, ceux de droite que je ne suis pas un ennemi de classe, clame-t-il. J'ai bâti une crédibilité républicaine auprès des deux bords.» Pour lui, l'union des bonnes volontés est le seul moyen de combler «le gouffre entre le peuple et les pouvoirs» qui lui paraît être la caractéristique principale de la France d'aujourd'hui. Il entend incarner une «protestation constructive». Il explique : «Il ne faut pas laisser le monopole de la contestation du système à l'extrémisme.» Son maître mot : l'équilibre. En privé, la grande majorité des leaders de gauche et de droite font le même diagnostic sur l'état du pays et sur les moyens de traiter les problèmes, observe-t-il. Il veut faire émerger, en 2007, cette majorité-là, acquise à l'économie de marché sur le plan économique, mais soucieuse derégulation.
Au fond, François Bayrou est un animal politique aussi baroque que Ségolène Royal. Issu de la tradition démocrate-chrétienne, il prend de plus en plus volontiers des accents gaulliens. Longtemps membre de gouvernements de droite, il rêve aujourd'hui de faire un bout de chemin avec la gauche. L'alchimie Bayrou peut-elle prendre ? Il serait hasardeux, au vu de l'effervescence qu'il suscite sur le Net et d'un premier sondage flatteur, de le ranger d'ores et déjà parmi les futurs premiers rôles. Mais il serait tout aussi imprudent de le croire condamné, comme en 2002, à un rôle de figurant. Qu'on l'aime ou pas, Bayrou fait désormais partie intégrante de ce que François Mitterrand appelait le « paysage politique français ».

(1) Hachette Littératures, 16 euros.