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La "bayroumania", produit du terroir
LE MONDE | 28.10.06 | 18h19 • Mis à jour le 28.10.06 | 21h30
Il se disait exclu de certains médias, et voilà qu'ils lui font fête. La journée du jeudi 26 octobre restera, pour François Bayrou, celle de l'exposition maximum. Cinq pages dans Le Nouvel Observateur, autant dans L'Express (avec appel à la "une" : "La surprise Bayrou"), un entretien dans Paris Match ("Bayrou, le troisième homme") et un dans Libération, jeudi 26 octobre, à l'occasion de l'anniversaire des émeutes des banlieues en 2005. Pas si mal pour celui qui, début septembre, dénonçait une sorte de complot médiatique destiné à l'évincer du paysage politique au profit du couple Ségolène Royal-Nicolas Sarkozy (Le Monde daté 10-11 septembre). "Il visait surtout la télévision", précise-t-on aujourd'hui à l'UDF.
Il aura suffi d'un sondage IFOP Paris Match, la semaine dernière, pour lancer le mouvement. Pour la première fois, le président de l'UDF, scotché aux alentours de 6-7 % des intentions de vote, était crédité d'un score à deux chiffres : 12 % au premier tour de la présidentielle, voire 15 %, avec à la clé un ticket pour le second tour, dans le cas où Laurent Fabius serait désigné candidat du PS...
"NOUVEAUX ANGLES"
Alors que la presse se lasse de chercher de "nouveaux angles" pour traiter le duel annoncé entre le président de l'UMP et la présidente du conseil régional de Poitou-Charentes ou la "menace Le Pen", l'irruption de François Bayrou dans le carré des favoris est une aubaine. Déjà, son succès croissant auprès des internautes - ils apprécient son discours plus musclé et sa dénonciation des "puissances d'argent", dont bénéficierait Nicolas Sarkozy - était un signal (Le Monde du 30 septembre). Sa soudaine visibilité dans les sondages rebat les cartes et redonne de la vigueur au mythe du "troisième homme" qui, de Jean Lecanuet en 1965 à Jean-Pierre Chevènement en 2002, pimente les campagnes électorales.
"A L'Express, nous avons senti un symptôme plus qu'un phénomène Bayrou dans cette rentrée politique. Il avait fini la campagne de 2002 en donnant une gifle, et cette fois, il attaque en distribuant des claques à tout le monde : à l'UMP, au PS, aux médias... De plus, un sondage est venu confirmer qu'il existe une curiosité pour Bayrou", explique Christophe Barbier, directeur de la rédaction de l'hebdomadaire, qui mentionne cet autre signal : "J'ai eu récemment l'occasion de passer une soirée avec Pierre Arditi, et lui aussi a fait l'éloge du président de l'UDF."
Le candidat centriste lui-même n'est pas étranger à cette "bayroumania" naissante. De sa précédente campagne présidentielle, il a tiré une double leçon : il doit labourer le terrain et éviter le discours habituel et sans aspérités d'un candidat centriste. "Quand on laboure le terrain, on laboure la presse", glisse Marielle de Sarnez, députée européenne et principale conseillère du président de l'UDF. En l'occurrence il s'agit plus particulièrement la presse de province : quotidiens, hebdos et radios locales font l'objet de toutes les attentions de la part de M. Bayrou. Chacun de ses déplacements (jusqu'à deux par semaine) est ponctué d'une rencontre avec les journalistes locaux. Au Progrès à Lyon, à La Dépêche à Toulouse, un entretien "face aux lecteurs" est venu couronner ces rencontres. "C'est une formule qu'il aime bien, souligne un collaborateur du futur candidat. Cela lui permet de rencontrer des gens."
"MALAISE FRANÇAIS"
Le 29 septembre, à La Roche-sur-Yon, il avait convié à déjeuner dans une brasserie tout ce que la Vendée compte de cartes de presse. Prévu à 13 heures, le repas n'a commencé que trois quarts d'heure plus tard, le temps que, sur une terrasse attenante, le candidat honore toutes les demandes d'entretien des journalistes de radio. Patient et professionnel, il a répété dix fois son message, sa certitude que l'élection présidentielle ne se déroulerait pas selon le scénario préécrit par l'UMP et le PS.
Une fois à table, le jeu des questions-réponses a changé de sens, c'est M. Bayrou lui même qui s'est adressé à la presse pour s'enquérir de l'état de l'opinion. "De quoi vous parle-t-on ?", demande le député des Pyrénées-Atlantiques au chef de l'agence locale d'Ouest-France. Le président de l'UDF écoute gravement les avis des journalistes comme autant d'experts. Il s'enquiert au passage de leurs conditions de travail.
"Et qu'est-ce que vous pensez de votre métier ?", demande-t-il à brûle-pourpoint à une journaliste travaillant dans un hebdomadaire spécialisé sur le troisième âge. "On est des salariés comme les autres", lui répond la jeune fille. Une nouvelle preuve du "malaise français", pour François Bayrou.
Chaque début d'année, lors de ses voeux à la presse, le président de l'UDF est l'un des rares responsables politiques à aborder dans le détail les problèmes de la profession. Lui-même a réfléchi, il y a quelques mois, au lancement d'un quotidien "qui aurait été à la politique ce que L'Equipe est au sport". Des financiers l'ont dissuadé de persister dans cette aventure.
NOUVELLE IDENTITÉ
Au siège de l'UDF, rue de l'Université à Paris, trois personnes à temps plein et autant de stagiaires s'occupent des relations presse du candidat. Placées sous la responsabilité de l'attachée de presse du parti, Marie-Amélie Marcq. "En province, explique-t-elle, les électeurs sont très sensibles à ce qu'ils lisent dans leur journal. Les journalistes sont des relais d'opinion, des gens importants que l'on doit traiter avec beaucoup de respect."
"Nous avons un dialogue facile avec la PQR (presse quotidienne régionale), affirme Mme de Sarnez. La manière dont la politique y est traitée est moins "petites phrases" et "microcosme"." Visiblement, la tactique est payante. Depuis mai 2006, le président de l'UDF a eu droit à une centaine d'articles consacrés à ses déplacements et ceux-ci ont donné lieu à une bonne vingtaine d'entretiens.
Cette stratégie médiatique n'est pas nouvelle en politique. Elle a déjà réussi par le passé au candidat Jacques Chirac en 1995. Conseillé par sa fille Claude, il avait alors privilégié les interventions dans la presse locale au détriment des médias nationaux, soupçonnés d'être favorables à son rival, Edouard Balladur. Il y avait construit une image nouvelle, d'homme serein, détaché et à l'écoute de la France profonde. Une manière de se refaire une virginité politique.
Déjà candidat en 2002, deux fois ministre, M. Bayrou joue la même carte. Opposant la province à Paris, où seraient concentrés les petits intérêts de la "politique politicienne", le candidat centriste cherche à se forger une nouvelle identité. En province, les "vraies gens" ne parleraient pas de Sarkozy ou de Royal, des bisbilles de l'UMP ou des chausse-trapes du PS. Mais des "vrais sujets" : la hausse des prix, la précarité, le sentiment d'appauvrissement, la suspicion à l'égard de la classe politique dans son ensemble. Conclusion d'un proche : "Déjà le regard que l'on porte sur lui a changé."
C'est cette protestation diffuse que M. Bayrou entend porter au cours de cette campagne. L'intérêt nouveau que lui manifestent la presse nationale et les grands hebdomadaires vient presque un peu tôt dans son plan de marche. Parti précocement pour la campagne de 2002, il avait dû interrompre son tour de France - et remiser son célèbre bus au colza - après les attentats du 11 septembre 2001. Un contretemps dont il ne se remit jamais, recueillant 6,84 % des voix au premier tour de la présidentielle, le 21 avril 2002. "A un certain moment de leurs croissances respectives, disait-il fin septembre 2006, les poireaux sont aussi grands que les baobabs." Il se voyait alors plutôt poireau. Et aujourd'hui ?
Philippe Ridet
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